lundi 7 mars 2011

Je me souviens... du féminisme


Par Pascale Lepage

Emblématique de ma génération, de mon époque, je suis indécise, ambivalente; j’ai le nez qui voque. C’est ce qui me frappe quand je réfléchis au féminisme à l’approche de la journée de la femme : d’emblée, je ne sais même pas moi-même ce que j’en pense. Un discours arriéré ? Un débat passé, déjà réglé ? C’est que ce n’est pas notre guerre, c’était celle de nos mères, répondrais-je si je ne réfléchissais pas plus loin que le bout de mon nez. Mais en y pensant bien, cette réponse est précisément le danger qui pend au bout de ce nez pas si fin, un danger qui s’accorde bien avec les autres menaces qui guettent une société qui contemple ses acquis en se croyant avancée et qui a envie de reculer. Or, de mon point de vue de femme (n’ayons pas peur du rose), socialement comme en amour, prendre pour acquis est fort risqué.

J’ai un reproche à adresser à cette société dont je fais partie : celui de n’adopter qu’ironiquement la devise « Je me souviens ». De quoi se souviennent les Québécois qui veulent tout privatiser pour payer moins d’impôts, qui aiment mieux payer des assurances parce que Jeff Fillion leur a dit que c’était une bonne idée, qui veulent imiter les politiques des Américains parce qu’eux autres, ils l’ont l’affaire, ils think big, sti ? Ont-ils déjà oublié leur frère mort parce que le soigner aurait équivalu à priver les autres de manger ? De quoi se rappellent ceux qui pensent que les étudiants font la belle vie, qu’ils devraient payer, parce qu’ailleurs, ça coûte plus cher ? Savent-ils que si leurs grands-parents ont une sixième année, ce n’est pas nécessairement par choix ? De quoi se souviennent ceux qui trouvent que les syndicalistes sont des chialeux qui se pognent le cul à longueur de journée ? Ont-ils oublié ces générations de travailleurs qui se sont tués dans des usines pour des salaires de crève-faim en léchant les pieds du contremaître de peur d’être congédiés du jour au lendemain, de se retrouver devant rien ? De quoi se souviennent les machos qui crient haut et fort que les féministes sont des lesbiennes mal baisées ? Se rappellent-ils d’une époque pas si lointaine où les femmes n’avaient pas le droit de vote ? Pire, se souviennent-ils de ces femmes à qui l’on a accordé le droit de voter comme leur mari ? Savent-ils qu’au Québec, c’était en 1940 ? Réalisent-ils que les événements de polytechnique, c’était en 1989, et que la mort de ces 14 femmes n’est pas le fruit du hasard, mais bien une manière de leur signifier qu’elles n’étaient pas à leur place dans ce monde d’hommes ?

J’entends au loin, même pas si loin, l’insulte suprême du Québec contemporain : je ne suis qu’une gauchiste complètement manipulée par la propagande artistico-syndicaliste, je lis trop le Voir, je regarde trop Guy A. et sa clique du plateau, Speak White me monte à la tête avec 40 ans de retard, Loco Locass fait bourdonner mes oreilles de souverainiste, je perds tout jugement critique. Eh bien je me confesse, moi, gauchiste finie, j’ai parfois parlé contre les féministes. Il m’arrive de les trouver frustrées, de les considérer d’une autre époque, de m’imaginer que leur débat est dépassé et de croire, comme vous autres de la droite, qui vous trouvez si mal représentés médiatiquement et politiquement (!), qu’il est temps de passer à un autre appel. C’est que parfois, ceux qui revendiquent doivent le faire longtemps, se répéter, scander leur discours pendant des décennies, et finissent par être ridiculisés. Alors quand ils se voient accorder des droits, ils en demandent davantage, pas plus fous que les autres. C’est là que le discours dominant s’empare de leur image pour montrer les abus des symptomatiques opprimés-opprimeurs. Eh oui, à une époque, certaines féministes ont peut-être cherché à obtenir un traitement supérieur à celui que reçoivent les hommes plutôt que de revendiquer l’égalité. Ou alors, c’est ce que l’on a voulu nous faire croire. Peu importe, c’en était fini du mouvement : les opposants avaient désormais des arguments pour le détruire en bloc et le féminisme perdait ceux et celles qui, comme moi, auraient dû être ses alliés.

À mon avis, si un tel mouvement ne reçoit pas l’appui massif des jeunes femmes de ma génération, même pas celui des gauchistes, ce n’est pas parce que des impairs ont été commis. C’est parce que les médias, ceux-là même qui ne représentent pas suffisamment la droite selon certains, s’abreuvent aux sources du sensationnel et de l’extrême et nient l’existence de courants de pensée détachés d’un radicalisme constamment dénoncé.

Aujourd’hui, je refuse de commettre la même erreur que mes pairs et d’oublier tous les efforts qui ont été nécessaires à obtenir, au fond, si peu d’acquis. Je ne m’insurgerai pas contre les gais parce que certains ont tiré avantage de leur situation pour crier sans raison à la discrimination. Je ne me positionnerai pas contre les services publics parce que quelques individus ne savent pas s’en servir ou parce que d’autres en profitent. Je ne me prononcerai pas en faveur de l’augmentation des frais de scolarité sous prétexte que certains étudiants utilisent leurs prêts et bourses pour passer la semaine de relâche en Floride. Je ne m’emporterai pas contre les syndicats parce qu’il leur arrive de se plaindre la bouche pleine alors qu’ils se battent contre des multinationales à la bouche encore plus pleine. Et je ne parlerai pas contre le féminisme pour continuer de m’épiler les jambes en paix. Je vais plutôt me souvenir que le premier ministre de mon propre pays est contre l’avortement, en plus d’être contre les livres. Et qu’en sixième année, ce sont les petites filles qui se mettent à genoux pour faire des fellations dans les cours d’école pour avoir l’air cool, moderne, mature, tandis que ce sont les garçons qui le racontent à leurs amis en traitant les fillettes de salopes le lendemain, malheureusement pour les mêmes raisons. Est-ce vraiment différent, au fond, de voter comme son mari ? À bien y penser, le féminisme n’a peut-être pas fait assez dans ce monde tellement avancé, évolué, mais dans lequel plus ça change, plus c’est pareil.

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